Rencontre nocturne  

Nuit. La noirceur des ténèbres avait lentement envahi le village de la brume laissant place aux pâles lumières des habitations à travers les rideaux tandis que les lampadaires semblables à des lucioles éclairaient le chemin de ces pauvres humains aveugles dans le crépuscule. Je déambulais dans les rues comme une âme en peine, ne sachant trop que faire en cette soirée. Mon regard émeraude se posait sur les fenêtres des habitations observant les habitudes des gens, leurs sourires, leurs conversations, leurs rires puis je repartais en laissant mon esprit divaguer dans les limbes de mes pensées. Les rues désemplissaient au fur et à mesure que la nuit s'établissait en ces lieux, ne laissant places qu'à quelques groupes de personnes se faisant de plus en plus rare. Un moment je m'assis sur le rebord d'un mur, observant ces humains se mouvoir nonchalamment, tous différents les uns des autres et tellement pathétiques pour la plupart d’entre eux . Mes oreilles se mouvaient constamment à l'écoute du moindre bruit, des pas résonnant sur le sol ou d'un rire un peu trop tonitruant. Je détachais alors mes cheveux et les secouais légèrement pour leur redonner une forme convenable, plaçant la baguette métallique que j'avais fabriqué précédemment et qui les maintenait  en un chignon serré jusqu'à lors entre mes crocs avant de la reprendre dans ma main jouant avec en la faisant glisser entre mes doigts. Mes cheveux libérés de leur étau glissèrent alors comme une coulée de neige le long de mes épaules et de mon dos, cachant partiellement mon vêtement. En ce jour j'avais choisi de mettre un kimono d'un bleu clair appartenant autrefois à ma mère, il était parsemé de broderies délicates et le tissu était noble. Ma main glissa sur le vêtement un instant puis je levais les yeux vers les étoiles, ne pouvant qu'entrevoir un ou deux astres dans ce ciel constamment nuageux.



Un soupir s'échappa de mes lèvres entrouvertes. Ennui. Je m'ennuyais particulièrement et en ce moment j'aurais même préféré qu' Hijikata me demande de ranger ses dossiers ou je ne sais autre tâche ingrate. Une esquisse de sourire naquit un instant sur mon visage à cette idée. Après plusieurs minutes à rester ainsi à observer le monde la morsure de la fraîcheur de la nuit tombante se fit ressentir du fait de mon immobilité simplement rompu par les mouvements circulaires que la baguette effectuait dans ma main, d'un petit bond je me remettais alors sur mes deux jambes continuant mon chemin. Sûrement que j'allais finir la soirée seule dans ma grande maison vide. Parfois la solitude était préférable mais à la longue elle savait se faire pesante et j'enviais toutes ces personnes naïves qui riaient aux abords des bars, bras-dessus bras-dessous et cette sorte de rancœur que j'avais contre eux cachait peut être une once de jalousie de leur insouciance et de leur bonheur.



Mes yeux de jade  parcouraient les alentours du chemin que j'empruntais, mes hanches se balançant au rythme de mes pas et  observant le moindre mouvement qui se trouvait autour de moi je cherchais de quoi satisfaire ma curiosité et rompre mon ennui. Je croisais alors un enfant rentrant avec sa mère, ce dernier regarda avec des yeux émerveillés et intrigués mes attributs auditifs, en souriant je les fis bouger en même temps à plusieurs reprises et un sourire illumina son visage tandis qu'il manqua de trébucher sur un pavé. Mes canines pointèrent sur le bord de mes lèvres trahissant la naissance d'un sourire puis je continuais ma route mine de rien. J'étais de relativement bonne humeur en cette soirée malgré mon ennui et lorsqu'un bar s'annonça non loin de moi les effluves d'alcool me parvenant bien avant que je ne puisse voir l'enseigne, je me demandais si peut être n'allais-je  pas m'y arrêter avant de rentrer chez moi, histoire de rompre la monotonie de cette soirée.



Puis je le vis. Lui. Je l'aperçus au loin dans une blafarde lueur, mais je pouvais le reconnaître sans aucun problème, mes pupilles me conférant une vue supérieure à la normale. Ajoutons également qu'un homme tel que lui se remarquait plutôt aisément … Les hommes de sa famille avait le don d'être d'une grande beauté, selon moi du moins, et c'était plutôt énervant. Continuant ma route je me rapprochais inexorablement de lui. Cependant je ne savais si je devais aller lui parler ou bien simplement le saluer poliment et passer mon  chemin. Il me mettait mal à l'aise et cela avait le don de me déplaire. Je n'avais pas pour habitude d'être perturbé par  la présence d'une personne, quelle qu'elle soit mais lui me rendait légèrement confuse. Je le connaissais peu. Certes nous nous étions croisés à de nombreuses reprises mais hormis des échanges de politesse ou protocolaires nous n'avions pas réellement eu ce que l'on peut appeler une vraie conversation. Même si mes yeux s'étaient souvent posés sur lui sans qu'il ne le remarque. Malheureusement pour moi on ne choisit pas son inclinaison pour quelqu'un et je souhaitais bien malgré moi apprendre à le connaître. Il m'intriguait réellement. Ma main replaça alors machinalement une mèche de mes cheveux tandis que mes pas se rapprochaient des siens et lorsque nous fûmes à quelques mètres je croisais son regard azuré et lui souriais.

Rencontre nocturne.

Flocon. Je n'y avait guère prêté attention jusqu'à maintenant mais des flocons duveteux tombaient du ciel délicatement, venant recouvrir le sol d'un manteau nacré. L'un deux tomba sur mon oreille droite et j'eus un frémissement en sentant le flocon fondre sous ma chaleur corporelle. Ce dernier venant s'écouler en une fine gouttelette sur ma chevelure ivoire. Il ne neigeait pas depuis longtemps mais leur chute s'intensifiait progressivement et le manteau recouvrant le paysage grossissait à vue d’œil. Le froid n'était pas mon élément et je préférais une douce soirée de printemps qu'une journée enneigée malgré la beauté de cette dernière, mais l'on ne peut rien contre mère nature. Malgré les pâles lueurs des rues je voyais sa silhouette grandir au fur et à mesure et nos pas nous rapprochèrent finalement. Il s'arrêta face à moi. Je pouvais contempler son visage aux traits si délicats et mon regard émeraude se perdit un instant dans ses saphirs.


- «  Bonsoir Ibuki … » Lui répondis-je avec un léger sourire. Un halo de vapeur s'échappant de mes lèvres dû a la fraîcheur de la nuit. Mon attention glissa le long de ses cheveux couleur prune contrastant avec la blancheur de la neige.


- « Comment te portes-tu depuis notre dernière rencontre ?  »


La neige s'était accumulée dans le village et tout était peu à peu devenu silencieux, les son habituels masqués sous ce doux manteaux immaculé. Le jeune homme me faisait face, la gorge emmitouflée dans son écharpe tandis que la mienne était nue pouvant aisément sentir la morsure du froid contre ma peau. Un frisson me parcouru, j'aurais du m'habiller plus chaudement seulement je n'avais pas prévu d'errer ainsi dans les rues jusqu'à ce que la nuit tombe bien que souvent j'appréciais les balades nocturnes. Tout était plus calme et silencieux une fois l'obscurité tombée et cela me permettait de réfléchir posément .

-«  Disons que l 'on fait aller » dis-je doucement puis j'esquissais à nouveau un sourire «  Et toi comment vas-tu en cette soirée ? »


« Très bien, que fais-tu dehors une heure si tardive? »


« J'aime bien me promener le soir, c'est plus calme. » Je frottais mes mains l'une contre l'autre et les rapprochant de mes lèvres je soufflais légèrement dessus pour leur apporter un peu de chaleur «  Je te retourne la question » ajoutais-je en plongeant mon regard dans le sien


« Une simple balade, je comptais me rendre au restaurant Michiyama. Voudrais-tu m'accompagner ? Nous pourrons amplement discuter une fois la bas. »


Je cachais ma surprise suite à cette demande, je ne m'attendais pas à cela de sa part  mais même si  me retrouver seule avec lui me mettait dans l'embarras, pour autant c'était tout ce que je souhaitais.«  Tu vas souvent seul au restaurant ? » demandais-je sur un léger ton plaisantin puis mettant fin à cette boutade j'acquiesçais d'un mouvement de tête «  Oui pourquoi pas. Cela peut être une bonne idée »


«  Disons que d'habitude j'aime être seul.. Allons y »


Il avait dit sa dernière phrase sur un ton me laissant quelque peu perplexe et je le suivis simplement. Nos traces de pas se marquaient dans la neige en crissant légèrement et l'on aurait pu nous suivre à la trace. Je ne disais rien, de peur de dire quelque chose de maladroit et le rose m'était monté aux joues inconsciemment, je feins que ce fut le froid en me les frottant légèrement. Je ne m'étais pas sentie aussi mal à l'aise avec un homme depuis fort longtemps et cela me ramenait de douloureux souvenirs. Encore une fois ma tête essayait de lutter mais mon cœur avait l'air de lui rire au nez. Cette constante confusion entre esprit et sentiments me faisait perdre la raison et je passais une main dans mes cheveux, les époussetant légèrement afin d'en faire tomber les flocons de neige qui tombaient toujours en masse du ciel, et de la même manière faire s'envoler tous ces doutes venant polluer mon esprit.


Nous marchâmes ainsi côte à côte et mes yeux glissaient parfois sur lui discrètement espérant qu'il ne s'en aperçoive. Ne sachant où se trouvait ce dit restaurant je ne pouvais faire autrement, honte à ma personne sans doute mais je n'avais guère l'habitude de me rendre dans un restaurant seule. Je m'y sentais plus que mal à l'aise et prendre un repas certes souvent médiocre allongée sur mon lit tout en dessinant m'allait tout autant. Nous n'étions pas du même monde et je le savais. Un clan respectable plein de noblesse et moi orpheline n'ayant pas de famille et s'étant toujours débrouillée seule, ce qui n'avait pas atténué mon côté sauvage naturel ni mes bonnes manières. Les rues se faisaient de plus en plus glissantes sous la neige et  je priais pour ne pas perdre l'équilibre et me rendre ridicule.


Élégance. Il était d'une grande élégance dans ce kimono noir, simplement orné de son écharpe, il avait de la prestance. Un bel homme. Et encore une fois mon regard se perdait à le regarder, je le détournais aussitôt. Je distinguais au loin l'endroit ou il me conduisait, les effluves m'en prévenant. Et une fois devant le pas de la porte je m'arrêtais en enlevant les quelques flocons duveteux de mon kimono et de ma crinière. Ils ne s'étaient pas arrêtés tout le long de notre chemin et bien que ce ne fut pas une tempête mais au contraire un délicat spectacle comme une chute d'innombrables boules de coton, il n'en était pas moins que le froid qu'ils apportaient avec eux était tout à fait supérieur à leur taille. Tournant la tête pour de nouveau croiser son regard azur je lui souriais alors que mes oreilles eurent un réflexe d'effectuer deux petits mouvements frénétiques vers l'avant. J'aurais voulu me mettre un bonnet sur la tête pour cacher ces satanées choses qui m'étaient encore incontrôlables.


«  Bien, rentrons... ? Je commence à prendre froid en plus avec cette neige … . »

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